Entretien sur la stratégie MNT: «Nous devons pouvoir vivre le plus longtemps possible dans les meilleures conditions»
Stratégie nationale Prévention des maladies non transmissibles

Entretien sur la stratégie MNT: «Nous devons pouvoir vivre le plus longtemps possible dans les meilleures conditions»

Offizielle Mitteilungen
Édition
2018/01
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2018.01693
Prim Hosp Care (fr). 2018;18(01):4-7

Affiliations
Médecins de famille et de l’enfance Suisse, Berne

Publié le 03.01.2018

Environ un tiers de la population suisse souffre d’une maladie non transmissible, telle que le cancer ou les maladies cardiovasculaires. Un mode de vie sain permettrait d’éviter nombre de ces maladies, ou du moins de réduire leurs répercussions. C’est là que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) entre en action avec sa stratégie partenariale MNT. Pascal Strupler (directeur de l’OFSP) et Thomas Mattig (directeur de Promotion Santé Suisse) ont répondu aux questions de mfe.
Pouvez-vous décrire brièvement pour nos lecteurs ce qu’est la nouvelle stratégie MNT et qui l’a élaborée?
P. Strupler: Parmi les maladies non transmissibles, abrégées en MNT, on compte le cancer, les maladies cardiovasculaires, le diabète, ainsi que les maladies des voies respiratoires et de l’appareil locomoteur. Il s’agit d’affections dont la survenue est croissante à partir de 50 ans. Via cette stratégie, nous souhaitons donc en particulier atteindre les personnes de plus de 50 ans, mais bien sûr aussi les autres groupes d’âge. Une personne sur cinq souffre d’une de ces affections qui, outre la souffrance qu’elles provoquent, engendrent environ 80% de nos dépenses nationales en matière de santé.
T. Mattig: Pour la première fois, une stratégie commune est prévue contre ces maladies. Jusqu’à présent, les différents acteurs poursuivaient leur propre stratégie; désormais, l’OFSP, la Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS) ainsi que Promotion Santé Suisse coordonnent l’ensemble des mesures.
Pascal Strupler, directeur de l’OFSP (gauche), et Thomas 
Mattig, directeur de Promotion Santé Suisse.
C’est donc un projet commun de la Confédération, des cantons et de la fondation Promotion Santé Suisse: mais qui a le dernier mot dans tout cela?
P. Strupler: Dans ce projet commun, il est expressément stipulé qui porte quelle responsabilité. Pour le grand public, c’est la CDS qui a le leadership thématique. Pour ce qui est du thème «Prévention dans le domaine des soins», l’OFSP est aux commandes. Enfin, la fondation Promotion Santé Suisse s’occupe de toutes les questions de prévention en matière d’économie. La répartition des tâches entre ces trois acteurs est claire, et la mise en œuvre de la stratégie a lieu en concertation étroite des acteurs.
T. Mattig: Entre l’OFSP et Promotion Santé Suisse, il existe en outre un accord de coopération qui règle en détail les compétences.
Quels objectifs concrets sont poursuivis avec cette stratégie?
P. Strupler: Nous nous sommes fixés quatre objectifs concrets. Premièrement, il convient de réduire le poids de la maladie, qui accompagne et renforce les réels symptômes de la maladie. Deuxièmement, nous voulons réduire le nombre des décès prématurés. Nous considérons également que la préservation des performances des patients multimorbides est essentielle afin que leur intégration dans la société soit maintenue autant que possible. Le quatrième objectif de notre stratégie est de réduire les coûts engendrés et d’ainsi soulager le système de santé. En fin de compte, l’enjeu est que les hommes vivent le plus longtemps possible dans les meilleures conditions, avec une meilleure connaissance de la promotion de leur santé.
Quelles sont pour vous les approches concrètes de la stratégie?
T. Mattig: Fort heureusement, nous ne partons pas de zéro. Dans les domaines de l’activité physique et de l’alimentation chez les enfants et les adolescents, de nombreux objectifs ont déjà été atteints par le passé et ces domaines resteront centraux à l’avenir. On compte aujourd’hui également le thème de la «santé psychique» et le groupe cible «personnes âgées». Chaque canton est libre de choisir les modules et mesures correspondantes qu’il considère comme capitaux pour ses programmes d’action cantonaux.
Les principaux groupes cibles sont donc les jeunes et les seniors, et les thèmes sont l’alimentation, l’activité physique et la santé psychique?
T. Mattig: Tout à fait. Par ailleurs, des projets sont également lancés dans le domaine «Prévention dans le domaine des soins». Dans ce cadre, nous interpellerons, avec les prestataires de service, un nouveau groupe cible dès l’année prochaine. C’est la principale nouveauté de la stratégie MNT. Dans le domaine «Prévention dans l’économie», il s’agira de poursuivre le développement de la gestion des soins en entreprise et de la santé sur le lieu de travail. En ce qui concerne les produits, nous entendons inciter l’économie à des prestations bénévoles.
Nous en venons donc au thème de l’initiative actionsanté, où l’on critique qu’il n’existe aucune prescription concernant les teneurs en sel et en sucre beaucoup trop élevées. Continue-t-on donc de miser sur des accords volontaires avec l’économie plutôt que sur des régulations telles qu’une taxe sur le sucre et les graisses?
P. Strupler: Je pense que le débat sur de telles taxes a déjà en partie eu lieu il y a quelques années. Le Parlement a ici fait preuve d’une grande retenue; pensez simplement à la taxe sur le tabac. Je crois pour le moins que les actions volontaires dans de nombreuses branches ont permis d’atteindre une sensibilisation, notamment dans le secteur de l’alimentation. Ce qui est fondamental dans la stratégie MNT, c’est d’augmenter la compétence en matière de santé. Les responsabilités individuelles ne peuvent être prises que si les gens ont suffisamment de connaissances sur leur propre santé, sur l’alimentation, sur l’activité physique et sur les comportements addictifs. Il est donc essentiel de sensibiliser les personnes dès l’enfance et l’adolescence à un comportement sain. La transmission des connaissances générales et relatives à sa propre santé est une mission de longue haleine. Chez les enfants, l’école joue un rôle essentiel, au même titre que les pédiatres et bien sûr les parents.
Où est le lien entre compétence en matière de santé et école?
T. Mattig: De nombreux projets réalisés par les cantons, par ex. les programmes actuels tels que «Alimentation et activité physique» ont lieu à l’école. L’école est un multiplicateur essentiel. Désormais, ce n’est plus seulement la santé des écoliers qui est centrale mais également celle des enseignants, avec comme mot clé la réduction du stress; des offres adaptées pour les écoles existent déjà. On aperçoit ici aussi la complexité du sujet. La santé sur le lieu de travail des enseignants ou des parents, par exemple, a aussi des répercussions sur la santé des enfants.
Quel rôle jouent les pédiatres dans le contexte de l’école et de la famille?
P. Strupler: Un pédiatre détecte très tôt les risques chez un enfant. Il reconnaît notamment la propension au surpoids et ne traite donc pas uniquement des symptômes isolés, mais établit des corrélations. Il recourt tôt à des conseils nutritionnels pour toute la famille. Un pédiatre peut également indiquer des offres de sport adaptées, il inclut l’ensemble du réseau, qu’il s’agisse de l’école, du médecin de famille ou, bien sûr, de la famille. La mise en réseau est un élément clé dans le contexte des soins de santé dans leur ensemble.
Le Tarmed ne prévoit cependant pas d’indemniser les médecins de famille et de l’enfance pour de telles prestations de réseau. Cinq millions de francs sont attribués pour la prévention, huit millions pour l’interprofessionnalité en tant que crédit de projet, mais les coûts liés aux maladies sont de 70 milliards de francs. Comment composez-vous avec ce fossé?
P. Strupler: Il est souvent argumenté que le médecin de famille ou de l’enfance ne trouve aucune position dans le Tarmed dans le domaine de la prévention. Grâce à la consultation de base et l’examen de prévoyance, il existe toutefois des rémunérations pour les prestations de prévention. Les partenaires tarifaires ont également la possibilité de présenter des positions tarifaires. Tout ne doit pas nécessairement être réglé par l’assurance-maladie ou l’assurance-accident. D’autres modèles de financement sont requis. Dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie MNT, une analyse des offres existantes dans le domaine «Prévention dans le domaine des soins» est prévue. On analysera également où se trouvent les lacunes de financement dans ce domaine, et comment le financement des travaux de prévention fournis par les prestataires de service peut être assuré.
T. Mattig: Au sein du domaine de mesures II «Prévention dans le domaine des soins» de la stratégie MNT, il est également prévu de clarifier ces questions de financement.
En 2017, la fondation Promotion Santé Suisse disposait d’un budget augmenté de 50%; en 2018, ce sera le double. Où ces fonds seront-ils concrètement investis?
T. Mattig: Les fonds vont directement dans les programmes de prévention. Nous avons déterminé en détail pour quelles mesures ils seront utilisés. Les programmes cantonaux sont doublés. En outre, nous allons mettre en place une campagne nationale pour la santé psychique. Désormais, environ cinq millions de francs sont investis chaque année dans le domaine «Prévention dans le domaine des soins». Nous pouvons ainsi allouer une jolie somme pour le développement des innovations dans ce domaine. Mais bien entendu, il n’est pas réaliste de financer directement les prestataires de service avec une telle somme.
Quels objectifs concrets et prescriptions existent concernant le projet «Prévention dans le domaine des soins», et qui en a la responsabilité?
T. Mattig: Concrètement, c’est désormais le groupe cible des patients qui est atteint via les prestataires de service, et non la population globale. Les innovations doivent être encouragées et le fonctionnement des mesures de prévention doit être vérifié. Des thèmes relatifs aux addictions sont également inclus, ce qui est une première pour la fondation. Il ne doit pas y avoir de limitations. Nous voulons prendre la mesure du potentiel des prestataires de service dans ce domaine. La responsabilité du financement du projet est assumée par Promotion Santé Suisse.
Tabac et alcool sont deux facteurs de risque pouvant conduire à ces maladies évitables. On les connaît depuis longtemps, et dans le même temps, le Parlement bloque les mesures politiques. Les boissons alcoolisées devraient désormais être en vente sur les aires d’autoroute, ce qui ne facilite pas la prévention. Comment gérez-vous cela?
P. Strupler: La prévention a lieu dans la vraie vie. Nous avons affaire à une population qui ne mange pas toujours sainement, ne bouge pas toujours assez, qui fume et qui boit trop – voilà à quoi ressemble souvent la situation réelle. Nous nous trouvons également dans un contexte politique qui n’est actuellement pas très favorable à la prévention. Nous vivons avec, et nous ne nous laissons pas décourager. La stratégie MNT prévoit une meilleure information et plus de sensibilisation; voilà ce à quoi nous travaillons. Je suis convaincu que cela finira par avoir un effet sur le Parlement.
T. Mattig: Vis-à-vis de la politique, nous pensons que notre mission principale est l’information sur nos thèmes et activités. Nous essayons ainsi de renforcer la bonne volonté de la politique. La création du groupe parlementaire MNT nous apparaît comme un signe de l’entrée des thèmes de prévention au Parlement. Nous avons bon espoir de voir changer l’attitude du Parlement vis-à-vis des thèmes de prévention à moyen terme.
Nous avons abordé la situation avec le législateur et les politiques; une autre question concerne le budget de l’OFSP. Depuis 2003, il a subi d’importantes coupes. Le soutien suffit-il encore pour la stratégie MNT?
P. Strupler: Effectivement, le budget pour la prévention a baissé d’environ 25% au cours des 7 dernières années. Les discussions relatives au budget 2018 ont montré que celui-ci se trouve toujours menacé.
T. Mattig: En fin de compte, sur les 80% des coûts générés par les MNT, environ la moitié sont évitables. Ceci est un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre à l’avenir. Sans parler des centaines de milliers de personnes qui pourraient être libérées du poids d’une maladie non transmissible.
La prévention est un travail d’équipe. Quels sont, d’un point de vue organisationnel, vos partenaires principaux?
T. Mattig: En principe, la mise en œuvre de la stratégie MNT implique l’engagement et la collaboration des acteurs impliqués. Nous devons nous efforcer de créer pour eux des situations dont ils peuvent tirer profit. Cela accroîtra également l’intérêt d’une participation à la mise en œuvre de la stratégie. Les ligues de santé, les médecins ainsi que d’autres acteurs des soins de santé jouent un rôle essentiel.
A l’échelle européenne, où nous positionnons-nous par rapport aux autres en matière de coûts de prévention?
P. Strupler: Pour ce qui est des pays germanophones, nous sommes aussi bons (ou mauvais) que l’Allemagne et l’Autriche. En Suisse, env. 2,2% des dépenses de santé sont attribuées à la prévention; dans de nombreux pays européens, la moyenne est d’environ 3%. Nous pourrions donc faire mieux. En ce qui concerne la souffrance et les coûts causés par ces maladies non transmissibles, le besoin d’agir est avéré.
Autre sujet: La promotion de la santé en entreprise constitue un axe fort. Quel est son succès?
T. Mattig: Par le passé, nous avons posé les bases pour les instruments et structures de la promotion de la santé en entreprise, qui ont par bonheur fait leurs preuves pour le mieux. Il convient désormais de forcer leur diffusion afin qu’ils puissent profiter à une part encore plus grande d’employés. Cela ne peut fonctionner que grâce à des multiplicateurs, tels que les assurances, les associations et les conseillers.
Les médecins de famille et de l’enfance exigent plus de places d’étudiants et non des spécialistes supplémentaires, ce qui couvre aussi le souhait du Parlement. Que peut apporter ici l’OFSP?
P. Strupler: En Suisse, nous avons un système libéral. Les interventions ne sont donc guère un sujet, les effets incitatifs sont compliqués. Les praticiens généralistes se sont toutefois saisis de cette tâche et font, notamment dans les facultés de médecine, la promotion de leur profession. Il faut motiver les étudiants à exercer ce métier. Les incitations financières peuvent également être utiles. Dans le cadre de la réaction de la Confédération à l’initiative des médecins de famille, quelques progrès ont été faits. Le Tarmed a été adapté afin de revaloriser les médecins de famille et de l’enfance, et pas seulement avec l’intervention de 2014. Le Tarmed révisé par le Conseil fédéral, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2018, apporte lui aussi une amélioration. Mais nous attendons aussi des médecins de famille qu’ils fassent preuve de compréhension et de soutien vis-à-vis du domaine «Prévention dans le domaine des soins».
Quelles attentes nourrissez-vous vis-à-vis des médecins de famille?
T. Mattig: Nous nous réjouissons des nombreuses requêtes et projets de mise en œuvre de bonne qualité de la part des médecins de famille et de l’enfance. Nous sommes persuadés qu’il existe encore un grand potentiel. Dans le domaine «Prévention dans le domaine des soins», ce sont les médecins de premier recours que nous voyons en première ligne, et non les spécialistes.

La vision de la stratégie MNT

«Plus de personnes restent en bonne santé ou bénéficient d’une qualité de vie élevée en dépit d’une maladie chronique. Moins de personnes souffrent de maladies non transmissibles évitables ou décèdent prématurément. Quel que soit leur statut socio-économique, les personnes sont encouragées à adopter des styles de vie sains dans un environnement favorable à la santé.»