Conditions de travail, contraintes et solutions

Des médecins en bonne santé pour de bons soins de santé

Themenschwerpunkt
Édition
2023/04
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2023.10675
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2023;23(04):106-107

Affiliations
a Institute of Social and Preventive Medicine (ISPM), University of Bern; b Institute of Primary Health Care (BIHAM), University of Bern

Publié le 05.04.2023

Conditions de travail, contraintes et solutions

Introduction

Ces dernières années, l’accent a été davantage mis sur le bien-être des médecins. Cela s’explique notamment par le fait que les médecins présentent un risque accru de maladies psychiques, de suicide et de problèmes liés au stress par rapport à la population générale [1–3]. Depuis des années, les conditions de travail des médecins sont marquées par des horaires de travail à rallonge, la concurrence et la pression du rendement [4]. Or, les maladies liées au stress, comme par exemple le burnout, n’ont pas seulement un impact sur l’individu concerné, mais aussi sur la qualité des soins, la sécurité au travail et la satisfaction des patientes et patients [5]. Cela se traduit par exemple à l’hôpital par un plus grand nombre d’erreurs évitables et un taux de mortalité accru des patientes et patients [6]. En outre, il se peut que les médecins soient absents pour cause de stress ou, dans le pire des cas, qu’ils abandonnent leur profession [7], ce qui confronte le système de santé à de sérieux défis [8]. Avec le COVID-19, cette problématique s’est encore accentuée, mais elle a aussi gagné en importance, et c’est pourquoi le bien-être des médecins bénéficie d’une attention accrue [9, 10].

Situation en Suisse

La Fédération des médecins suisses (FMH) a présenté en 2022 la Charte sur la santé des médecins, dont l’objectif est d’améliorer les conditions de travail des médecins, de reconnaître les contraintes du travail et d’élaborer des solutions [4]. Le bien-être des médecins y est spécifiquement thématisé. En 2020, il s’est avéré que 77% des médecins exerçant à l’hôpital étaient soumis à une forte pression du rendement, que plus de deux tiers d’entre eux étaient en proie à une charge émotionnelle et que plus d’un tiers d’entre eux faisaient plus de six heures supplémentaires par semaine [11]. En outre, il a été démontré que l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, qui a également une influence importante sur le bien-être [12], était inapproprié pour 86% des personnes interrogées. De plus, 14% des médecins qui ont terminé leurs études entre 1980 et 2009 ne travaillaient plus dans le secteur de la santé [13].
Il est évident que seuls des médecins en bonne santé peuvent garantir des soins optimaux et de qualité aux patientes et patients [14]. Qui plus est, les médecins ont un rôle de modèle à jouer auprès de leurs patientes et patients, des étudiantes et étudiants en médecine et des médecins-assistants; ils peuvent montrer l’exemple et promouvoir des comportements favorables à la santé, ce qui n’est cependant possible que s’ils sont eux-mêmes en bonne santé [15,16]. Pour cette raison, la FMH réclame la reconnaissance de la charge psychosociale, la priorisation de la santé physique et psychique et un équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle du corps médical [17].
Conformément aux exigences de la FMH, il faut davantage de recherches suisses sur le bien-être des médecins. Bien qu’une récente revue systématique ait montré que les personnes travaillant dans le système de santé suisse présentent des taux de burnout cliniquement significatif plus élevés que les autres groupes professionnels [1], il n’existe que peu d’études réalisées en Suisse. Soit les études existantes se concentrent uniquement sur un groupe professionnel spécifique du corps médical [18], soit elles ont été réalisées de manière transversale, soit elles remontent parfois à plus de dix ans [19–23]. Les systèmes de santé étant soumis à des réglementations nationales, ils diffèrent d’un pays à l’autre et influencent ainsi le corps médical à des degrés divers (par. ex. [24]). En particulier les différences entre les systèmes de santé américain et suisse sont importantes, sachant toutefois que la majeure partie des recherches sur le bien-être et le burnout proviennent d’Amérique. Cela limite les conclusions que l’on peut tirer des recherches existantes et souligne la nécessité de mener davantage d’études à grande échelle, de préférence longitudinales, sur ce sujet en Suisse.

Médecins en formation

La prochaine génération de médecins représente l’avenir du système de santé et le bien-être de ceux qui sont en formation initiale et postgraduée (stage, études de médecine, assistanat) mérite donc une attention particulière. Notamment chez les médecins-assistants, on a constaté un niveau élevé de stress et de burnout, de longs horaires de travail, un manque d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée [25] et un risque accru de traumatisme secondaire ou de fatigue de compassion [26]. Ces problèmes résultent souvent d’une charge de travail élevée, de la pression du temps et des responsabilités, ainsi que du manque d’autonomie et de contrôle. Les médecins-assistants rapportent également qu’ils ne se sentent pas soutenus ou valorisés par leurs supérieurs et leurs collègues, ce qui peut conduire à des sentiments de solitude [27].
Bien qu’il n’y ait pas encore beaucoup de recherches en Suisse sur le bien-être des médecins en formation initiale et postgraduée et ses répercussions, on constate une situation comparable à celle d’autres pays [28]. Ainsi, une étude récente menée en Suisse auprès de médecins-assistants en médecine interne générale a révélé qu’environ 20% font état d’une détérioration de leur bien-être et que près de 20% expriment des regrets quant à leur choix professionnel [29]. L’étude a également montré que les médecins-assistants suisses souffrent relativement souvent de stress par rapport aux médecins-assistants américains, bien qu’ils aient une semaine de travail de 50 heures régie par la loi et qu’ils soient d’une manière générale satisfaits de leur travail, de leur formation, de leur autonomie professionnelle et de leur revenu.
Une autre étude sur la santé psychique de la relève en médecine générale en Suisse a révélé que les médecins-assistants faisaient état d’un bien-être psychique nettement inférieur à celui des jeunes médecins de famille [31]. Par rapport à ces derniers et au groupe des étudiantes et étudiants, le manque de temps libre et le risque de burnout étaient les plus élevés chez les médecins-assistants. Les facteurs de stress les plus fréquents chez les médecins de famille et les médecins-assistants étaient les tâches administratives, le volume de travail élevé et les exigences professionnelles importantes. Les associations négatives les plus fortes avec le bien-être psychique étaient le manque de temps libre et l’appartenance au sexe féminin.
Comme les médecins-assistants ne disposent pas encore d’une grande expérience par rapport à leurs collègues plus anciens, les situations moralement éprouvantes (par ex. traitements potentiellement inappropriés, décisions en fin de vie des patientes et patients [32]) constituent un défi particulier et, éventuellement, une charge [33]. Les médecins en formation postgraduée vivent de telles tensions morales, car un sentiment élevé de coresponsabilité pour le bien-être des patientes et patients se heurte à une faible implication dans les décisions en raison des structures décisionnelles hiérarchiques [34]. Ce problème est aggravé par le fait que la gestion de telles situations ne fait guère partie du cursus et qu’au lieu de cela, on en appelle fortement à la responsabilité personnelle des jeunes médecins [4].
Seules des recherches supplémentaires permettront de déterminer dans quelle mesure certains des facteurs de stress et des conséquences identifiés dans des études suisses et d’autres études internationales s’appliquent également aux jeunes médecins d’autres spécialités médicales en Suisse. En outre, les projets de recherche permettent de mieux comprendre les besoins et les défis auxquels sont confrontés les médecins en formation initiale et postgraduée en Suisse. Cela permettrait non seulement d’attirer toute l’attention méritée sur ce sujet, mais aussi d’inciter davantage à développer des moyens d’aider les médecins en formation à surmonter ces difficultés.

Création d’une base scientifique en Suisse

Comme nous l’avons décrit, il est nécessaire d’agir, mais pour cela, des études doivent être menées en Suisse afin de dresser un état des lieux précis de la situation actuelle. À cet effet, l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Berne mène, dans le cadre de l’Eccellenza Professorial Fellowship du FNS attribué à Sofia Zambrano, une série de projets de recherche avec l’aide de partenariats de collaboration (inter)nationaux, qui s’intéressent au bien-être et aux émotions des médecins. Par exemple, l’étude INSPIRE (Investigation of Swiss Physicians Inner-life, Resilience and Emotions) examine le niveau actuel du bien-être des médecins, comment il évolue sur une période plus longue (3 ans) et s’il peut être influencé par une intervention brève issue de la psychologie positive. Il convient de souligner que ce projet inclut des médecins de toutes les spécialités et de tous les niveaux hiérarchiques, ce qui permet également de tirer des conclusions concernant les jeunes médecins.
Un autre projet récemment soutenu par l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) se penche sur le stress moral («Moral Distress») des médecins-assistants en Suisse. Il s’agit d’en étudier d’une part les causes et d’autre part les conséquences sur la vie professionnelle et privée des jeunes médecins, dans le but d’élaborer des solutions possibles à différents niveaux.
Ces études ont pour objectif de fournir des informations approfondies susceptibles d’influencer la formation initiale future des étudiantes et étudiants en médecine, la formation postgraduée des jeunes médecins et la formation continue des médecins suisses déjà en exercice. L’amélioration du bien-être des médecins doit conduire à des relations professionnelles authentiques et éthiques, non seulement avec les patientes et patients et leurs proches, mais aussi avec les collègues et dans le contexte privé. Ainsi, les études prévues doivent non seulement contribuer au bien-être des médecins, mais aussi améliorer les soins aux patientes et patients.
De plus amples informations sur l’étude sont disponibles sur https://www.med-wellbeing.ch/. L’étude INSPIRE est financée par le FNS via une subvention Eccellenza (numéro de subside: PCEFP1-194177) et l’étude Moral Distress par le Fonds KZS de l’ASSM (KZS 15/22).
Remarque: La commission pour la promotion de la relève de la SSMIG soutient l’appel en faveur de plus de recherches et de la possibilité de protéger la santé mentale des jeunes et futurs internistes généralistes par des interventions ciblées.
Prof. Sofia C. Zambrano, PhD
University of Bern
Institute of Social and Preventive Medicine (ISPM)
Mittelstrasse 43
CH-3012 Bern
Switzerland
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