L’essentiel sur le delirium
Confusion à la maison de repos

L’essentiel sur le delirium

Lernen
Édition
2017/20
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01472
Prim Hosp Care (fr). 2017;17(20):392-394

Affiliations
Zentrum für Pflege und Betreuung Reusspark, Niederwil

Publié le 25.10.2017

Le delirium est un problème aux composantes multiples, raison pour laquelle le diagnostic et le traitement correct s’avèrent si complexes.

Définition

Un état confusionnel aigu est appelé delirium. Le mot vient du latin de lira, ce qui signifie en dehors du chemin. Le delirium est à différencier des autres états confusionnels. Une confusion situationnelle aiguë est un processus normal qui est rapidement résolu par une orientation immédiate. L’état confusionnel chronique est défini comme une démence et doit être présent au moins 6 mois pour pouvoir être qualifié de la sorte.
Le delirium est défini dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM IV) ainsi que dans la Classification internationale des maladies (CIM 10) comme suit:
DSM-IV
• Perturbation de la conscience avec:
– Trouble de l’attention
– Altération des facultés cognitives
– Trouble de la perception
• Evolution en quelques heures
– Evolution fluctuant tout au long de la journée
CIM 10
• F05 Delirium
• Non induit par l’alcool et d’autres substances psychoactives.
Le delirium est un syndrome cérébral étiologiquement non spécifique, caractérisé par des troubles concomitants de la conscience et de l’attention, de la perception, de la pensée, de la mémoire, de la psychomotricité, de l’émotivité et du rythme veille-sommeil. La durée est très variable et le degré de sévérité s’étend de léger à très sévère.
La distinction faite entre trois sous-types [1] de delirium différents (tab. 1) s’avère primordiale. Il convient de tenir compte du fait que le delirium hypoactif, de survenue fréquente, n’est souvent pas reconnu ou bien est facilement manqué.
Tableau 1: Sous-types de delirium.
HyperactifMixteHypoactif
15–30%40–50%20–70%
Meilleur pronosticPronostic défavorablePronostic défavorable
Sevrage Troubles métaboliques
Intoxication Age >80 ans
Démence préexistante? Hallucinations

Causes

En ce qui concerne les causes de delirium, il convient de tenir compte des facteurs prédisposants et déclencheurs. Parmi les facteurs de risque figurent les conditions cliniques de survenue fréquente telles que la polymorbidité et la polymédication, mais aussi la démence, l’âge supérieur à 65 ans, le stress et les antécédents de delirium, pour ne nommer que les plus courants. Les facteurs de risque et déclencheurs les plus fréquents sont regroupés dans le tableau 2. Cette liste peut encore être complétée par de nombreux autres facteurs déclencheurs problématiques. En effet, de très nombreuses situations qui font partie du quotidien pour nous les professionnels peuvent produire un delirium.
Tableau 2: Facteurs de risque et déclencheurs d’un delirium.
Facteurs de risque/infirmitéDéclencheurs/blessures
Déficience visuelleFixation mécanique
ComorbiditéTrouble métabolique
Démence/dépression/antécédent 
de deliriumHypoxémie
Déshydratation/malnutritionMédicaments
Age >65 ansCathéter vésical
Privation de sommeil/stressTout type d’intervention médicale
MédicamentsDouleur
 Maladie aiguë (infection urinaire/anémie)
 Changements insignifiants
(absence de lunettes ou de montre)
 Atmosphère agitée
  
Risque élevé 3–43 Menace élevée
Risque intermédiaire 1–21–2 Menace intermédiaire
Faible risque 00 Faible menace
Un risque élevé et une menace élevée provoquent un delirium chez 67–99% des patients. La réduction des déclencheurs à un niveau de menace intermédiaire diminue de moitié la probabilité d’un delirium (Modifié d’après [20]).

Conséquences

Nous connaissons tous le delirium, mais il n’est que rarement diagnostiqué en tant que tel et il est souvent sous-estimé. Une étude statistique que j’ai menée en 2014 a montré que sur 144 patients nouvellement admis, seuls 3% se sont vu poser le diagnostic de delirium. Dans la littérature, le non-diagnostic est chiffré comme allant jusqu’à 70%. Au sein d’un service médical hospitalier, la fréquence s’étend de 14 à 56% [2]. Dans les institutions de séjour prolongé, la fréquence va de 20 à 30% [3]; en postopératoire et dans les services de soins intensifs, elle est supérieure à 50% [4]. Dans les situations palliatives, la fréquence de survenue est même estimée à 85% [5].
En raison des conséquences graves potentielles, la pertinence d’une pose correcte du diagnostic est évidente. En effet, la mortalité hospitalière en l’absence de delirium est de 1–8% mais elle est de 14–37% chez les patients atteints de delirium [6]. De même, après 6 mois et 1 an, la mortalité en cas de delirium était deux fois plus élevée que chez les patients n’ayant pas présenté de delirium. Outre cette hausse prononcée du taux de mortalité, le placement subséquent au sein d’une institution de soins longue durée était lui aussi également deux fois plus fréquent. En ce qui concerne les conséquences négatives à long terme, il convient de mentionner que le delirium constitue un facteur de risque de démence, et même qu’il évolue souvent vers une démence [7]. A court terme, le delirium double la durée d’hospitalisation, et la situation est très éprouvante pour les soignants et en particulier pour les proches. En 2017, les frais engendrés par le delirium s’élevaient à 152 milliards de dollars aux Etats-Unis [8] et à 926 millions de francs en Suisse [9] (tab. 3).
Tableau 3: Répercussions d’un delirium.
A court terme
Fardeau pour
– Les patients
– Les soignants
– Les proches
Prolongement de l’hospitalisation
A long terme
– Démence
– Placement dans une institution
– Mortalité
Frais
– 2500 USD par patient aux Etats-Unis en 2004

Diagnostic

Reconnaître un delirium constitue un grand défi. Cela s’illustre aussi par le fait que depuis 1997, 61 échelles ont été décrites dans la littérature. La diversité et l’incertitude des évaluations sont grandes et ne permettent pas de fournir une démarche à suivre claire. Dans deux vastes articles de revue, aucune recommandation univoque n’a pu être formulée [10, 11]. Selon moi, les points qui suivent ont fait leur preuve.

Y penser est l’essentiel

Dans le domaine clinique aigu, les outils d’évaluation DOS (Delirium Observation Screening Scale) et CAM (Confusion Assessment Method) sont souvent utilisés. Au sein des institutions de séjour prolongé, il convient de tenir compte des instruments à disposition. Ainsi, l’exploitation du RAI-RUG (Resident Assessment Instrument-Resource Utilization Groups) fournit des indications claires.Toutefois, énumérer en sens inverse les mois ou les jours de la semaine permet également de fournir de bonnes indications sur un delirium. En outre, je trouve que le Basler Schema [12] est un bon instrument, facile à utiliser. En ce qui concerne les institutions de séjour prolongé, aucun instrument d’évaluation ne m’a jusqu’à présent convaincu; en effet, chez les personnes démentes, la confusion chronique conduit souvent à des résultats faussement positifs, ce qui laisse apparaître que l’instrument n’est pas adapté pour le quotidien. Du point de vue des médecins, de nombreux spécialistes ont recours au CAM pour la pose du diagnostic. Cet outil d’évaluation présente une sensibilité de 94–100% et une spécificité de 90–95% vis-à-vis de la probabilité d’un delirium [13].

Traitement

La prévention constitue la stratégie la plus efficace pour le traitement du delirium. Dans la littérature, de nombreuses études montrent que les mesures aux composantes multiples ont fait leurs preuves pour la prévention et le traitement du delirium [14–16]. Une stratégie aux composantes multiples permet ainsi d’obtenir une réduction de la fréquence du delirium allant jusqu’à 30% [17].
Les mesures ont pour objectif principal le contrôle – et si possible la prévention – des facteurs déclencheurs mentionnés précédemment.
En raison de cette multitude de facteurs et de l’interprofessionnalité, le delirium représente souvent un défi dans les institutions de séjour prolongé et en médecine aiguë, ce qui doit pouvoir être abordé de façon ciblée.
Les traitements non médicamenteux occupent le premier plan. Il est ici fait référence aux mesures d’orientation, à la mobilisation, la communication, à un environnement agréable, à la prise en charge des états agressifs ainsi qu’au port d’appareils auditifs et de verres correcteurs. Le traitement pharmacologique ne couvre qu’une petite partie du traitement du delirium. Le traitement symptomatique par intervention pharmacologique est réservé aux patients f présentant une agitation et des symptômes psychotiques avec mise en danger de leur propre personne et d’autrui. C’est l’halopéridol à des doses de 4–5 mg par jour qui a fait l’objet des meilleures études. Mais de nouveaux neuroleptiques atypiques à faible dose sont également souvent administrés; il s’agit toutefois là d’une utilisation off label et il n’existe donc que peu d’études à ce sujet. Pour tous les traitements médicamenteux, la formule mnémotechnique start low – go slow s’avère essentielle. Et il convient de garder à l’esprit que l’utilisation doit être limitée dans le temps. Pour la prophylaxie médicamenteuse, il n’existe jusqu’à présent pas de preuves suffisantes [18, 19]. L’halopéridol a une influence positive sur le degré de sévérité et la durée mais ne réduit pas l’incidence.
Pour toutes ces mesures, les proches ne doivent pas être laissés de côté, car sans explications et accompagnement adapté, la situation est souvent très difficile pour eux.
Comme le lecteur le constatera, le delirium est un problème aux composantes multiples, et c’est pour cette raison que son diagnostic et son traitement adapté s’avèrent si complexes. Il est essentiel de penser au delirium pour tout changement constaté chez le pensionnaire. Une telle mesure permet certainement de recenser déjà plus de 50% des nombreux patients atteints de delirium et de les traiter de manière appropriée.
René Kuhn
Zentrun für Pflege und Betreuung Reusspark
CH-5524 Niederwil
rene.kuhn[at]reusspark.ch
 1 Yang FM, Marcantonio ER, Inouye SK, Kiely DK, Rudolph JL, Fearing MA, Jones RN. Phenomenological subtypes of delirium in older persons: patterns, prevalence, and prognosis. Psychosomatics. 2009;50(3):248–54.
 2 Gogol M. Das Delir im höherem Lebensalter. Z Gerontol Geriat. 2008;41:431–9.
 3 RAI Erhebung Kant Aargau, M. Anliker, 2015.
 4 Brummel NE, Vasilevskis EE, Han JH, Boehm L, Pun BT, Ely EW, Crit Care Med. 2013; 41(9)2196–208.
 5 https://www.palliative.ch/fileadmin/user_upload/palliative/fachwelt/E_Standards/E_12_4_bigorio_2004_Delir_de.pdf.
 6 Ely EW, Shintani A, Truman B, et al. Delirium as a predictor of mortality in mechanically ventilated patients in the intensive care unit. JAMA. 2004;291:1753–62.
 7 Witlox J, Eurelings LS, de Jonghe JF, Kalisvaart KJ, Eikelenboom P, van Gool WA. Delirium in elderly patients and the risk of postdischarge mortality, institutionalization, and dementia: a meta-analysis. JAMA. 2010;304(4):443–51.
 8 Field RR, Wall MH. Delirium: past, present, and future. Semin Cardiothorac Vasc Anesth. 2013;17(3):170–9.
 9 Hasemann, Kressig: Pflege.2007;20(4):191–204.
10 Wong CL, Holroyd-Leduc J, Simel DL, Straus SE. Does this patient have delirium?: value of bedside instruments. JAMA. 2010;304(7):779–86.
11 Adamis D1, Sharma N, Whelan PJ, Macdonald AJ. Delirium scales: A review of current evidence. Aging Ment Health. 2010;14(5):543–55.
12 Manuela Pretto Pflegeexpertin MNS,ANP.2016
13 Inouye SK, van Dyck CH, Alessi CA, Balkin S, Siegal AP, Horwitz RI. Clarifying confusion: the confusion assessment method. A new method for detection of delirium. Ann Intern Med. 1990;113(12):941–8.
14 Zaubler TS, Murphy K, Rizzuto L, Santos R, Skotzko C, Giordano J, Bustami R, Inouye SK. Quality improvement and cost savings with multicomponent delirium interventions: replication of the Hospital Elder Life Program in a community hospital. ­Psychosomatics. 2013;54(3):219–26.
15 Holt R, Young J, Heseltine D. Effectiveness of a multi-component intervention to reduce delirium incidence in elderly care wards. Age Ageing. 2013;42(6):721–7.
16 Hasemann W, Tolson D, Godwin J, Spirig R, Frei IA, Kressig RW. A before and after study of a nurse led comprehensive delirium management programme (DemDel) for older acute care inpatients with cognitive impairment. Int J Nurs Stud. 2016;53:27–38.
17 Deschodt M, Braes T, Flamaing J, Detroyer E, Broos P, Haentjens P, Boonen S, Milisen K. Preventing delirium in older adults with recent hip fracture through multidisciplinary geriatric consultation. J Am Geriatr Soc. 2012;60(4):733–9.
18 Inouye SK. Predisposing and precipitating factors for delirium in hospitalized older patients. Dement Geriatr Cogn Disord. 1999;10(5):393–400.
19 Kalisvaart KJ, de Jonghe JF, Bogaards MJ, Vreeswijk R, Egberts TC, Burger BJ, Eikelenboom P, van Gool WA. Haloperidol prophylaxis for elderly hip-surgery patients at risk for delirium: a randomized placebo-controlled study. J Am Geriatr Soc. 2005;53(10):1658–66.
20 Inouye SK, Charpentier PA. Precipitating factors for delirium in hospitalized elderly persons. Predictive model and interrelationship with baseline vulnerability. JAMA. 1996;275(11):852–7.