Evaluation d’aptitude à la conduite par le médecin de famille
Révision des exigences minimales

Evaluation d’aptitude à la conduite par le médecin de famille

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Édition
2017/20
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01526
Prim Hosp Care (fr). 2017;17(20):385-388

Affiliations
a Leiter der Abteilung Verkehrsmedizin, -psychiatrie und -psychologie, Institut für Rechtsmedizin, Universität Bern; b Hausarzt, Bern

Publié le 25.10.2017

L’évaluation de l’aptitude à la conduite des seniors1 de 70 ans et plusest une activité centrale et exigeante pour le médecin de famille. La révision des exigences minimales pour les conducteurs de véhicules à moteur, entrée en vigueur le 01/07/2016, ainsi que de nouvelles dispositions relatives à l’assurance qualité dans l’évaluation de l’aptitude à la conduite revêtent donc une importance particulière pour les médecins de premier recours. Cet article aborde les principaux changements des dernières années pour les médecins de famille.

Formation graduelle

Concernant l’assurance qualité et l’harmonisation des examens de médecine du trafic, la législation a introduit un modèle progressif, qui comprend quatre niveaux de qualification pour les médecins:
– Niveau 1: Evaluation de conducteurs de 70 ans et plus
– Niveau 2: Evaluation de propriétaires de véhicules de catégorie supérieure (taxis, camions, bus)
– Niveau 3: Evaluation de problématiques plus précises et plus complexes (par ex. seconde évaluation après examen de niveau 2, examen de conducteurs souffrant d’un handicap moteur)
– Niveau 4: Médecins du trafic de la SSML (Société Suisse de Médecine Légale) habilités à réaliser l’ensemble des examens/expertises relevant de la médecine du trafic.
Un médecin obtient la qualification pour le niveau 1 après avoir suivi un des modules de formation proposés par la SSML d’une durée d’une journée ou bien par autodéclaration. Pour cette dernière, le médecin confirme de son propre chef qu’il répond aux prérequis légaux pour l’évaluation des seniors conformément à l’annexe 1bis de l’Ordonnance réglant l’admission à la circulation routière (OAC). Pour la qualification de niveau 1, un délai de transition jusqu’au 31.12.2017 s’applique. La capacité à évaluer l’aptitude à la conduite fait partie intégrante du programme de formation postgraduée en médecine interne générale. Les connaissances acquises doivent être maintenues et actualisées dans le cadre du devoir de formation continue par la visite de manifestations correspondantes lors des congrès, dans des cercles de qualité ou autres.
Les cours de niveau 1 sont annoncés sur le site www.medtraffic.ch. C’est également sur cette page que s’effectue l’autodéclaration.
Les explications détaillées relatives à la formation graduelle peuvent se trouver dans un article paru en octobre 2015 dans le Bulletin des Médecins Suisses [1].
La réglementation qui vient d’être mentionnée s’applique à l’ensemble de la Suisse.

Révision des exigences minimales

Les exigences minimales révisées sont entrées en vigueur le 01.07.2016 (annexe 1 de l’OAC, voir tab. 1).
La classification actuelle des exigences minimales en trois groupes médicaux est désormais simplifiée en seulement deux groupes médicaux. Le premier groupe (cyclomoteurs, motos, voitures, véhicules agricoles) est pertinent pour l’évaluation des seniors. La suite de l’article ne traitera que les exigences minimales pour ce groupe et fournira des explications relatives à la mise en œuvre pratique.

Facultés visuelles

Désormais, les exigences médicales minimales impliquent une acuité visuelle d’au minimum 0,5/0,2. En cas d’acuité visuelle (corrigée) comprise entre 0,5 et <0,7 pour le meilleur œil et de <0,2 pour le moins bon œil, les autorités compétentes exigent en outre du conducteur une attestation d’un ophtalmologue dans laquelle ce dernier se prononce sur l’aptitude à la conduite d’un point de vue ophtalmologique (art. 9, al. 4 de l’OAC).
L’étendue minimale du champ visuel horizontal n’est désormais plus que de 120°. Pour ce qui est des problématiques ophtalmologiques particulières, des prescriptions plus détaillées s’appliquent (tab. 1). L’examen des limites périphériques du champ visuel par confrontation, tel que le réalisaient jusqu’à présent les médecins de famille, est toujours suffisant. En présence de signes de réduction du champ visuel ou en cas de pathologie pouvant s’accompagner de réduction du champ visuel, un examen périmétrique supplémentaire via un ophtalmologue est indiqué.
Tableau 1: Exigences médicales minimales (annexe 1 de l’OAC).
Facultés visuelles0,5 pour l’œil le meilleur/0,2 pour l’œil le plus mauvais (mesurés isolément).
Le certificat d’un ophtalmologue devra être présenté si l’acuité visuelle est inférieure à 0,7 pour l’œil le meilleur et à 0,2 pour l’œil le plus mauvais (art. 9, al. 4 de l’OAC)

Vision monoculaire (y c. acuité visuelle de l’œil le plus mauvais <0,2): 0,6

Vision binoculaire: champ visuel de 120 degrés de diamètre horizontal au minimum. Elargissement vers la droite et la gauche de 50 degrés au minimum. Elargissement vers le haut et le bas de 20 degrés au minimum. Le champ visuel central des deux yeux doit être normal jusqu’à 20 degrés.

Vision monoculaire: champ visuel normal en cas de mobilité des yeux normale.

Pas de diplopie restrictive.

Pas de réduction importante de la vision crépusculaire. Pas d’accroissement majeur de la sensibilité à l’éblouissement.
Ouïe
Alcool, stupéfiants et produits ­pharmaceutiques psychotropesPas de dépendance. Pas d’abus ayant des effets sur la conduite.
Troubles psychiquesPas de troubles psychiques avec effets importants sur la perception de la réalité, l’acquisition et le traitement de l’information, la réactivité ou l’adaptation du comportement à la situation. Pas de réduction des capacités de réserve ayant des effets sur la conduite.
Pas de symptômes maniaques ou pas de symptômes dépressifs importants.
Pas de troubles de la personnalité considérables, notamment pas de troubles du comportement asociaux ­marqués.
Pas de déficiences intellectuelles majeures.
Troubles des fonctions cérébrales d’origine organiquePas de maladies ou de troubles psychiques d’origine organique perturbant de façon significative la conscience, l’orientation, la mémoire, l’intellect, la réactivité et pas d’autre trouble des fonctions cérébrales. Pas de symptômes maniaques ou dépressifs importants. Pas de troubles du comportement ayant des effets sur la conduite. Pas de réduction des capacités de réserve ayant des effets sur la conduite.
Maladies neurologiquesPas de maladies ou conséquences de blessures ou d’opérations du système nerveux central ou périphérique ayant des effets importants sur l’aptitude à conduire avec sûreté un véhicule automobile. Pas de troubles ou de pertes de la conscience.
Pas de troubles de l’équilibre.
Maladies cardiovasculairesPas de maladies entraînant un risque élevé de crises douloureuses, de malaises, de diminution du débit sanguin cérébral réduisant les capacités, d’altérations de la conscience ou de toute autre perturbation permanente ou épisodique de l’état général.
Pas d’anomalie grave de la tension artérielle.
Maladies du métabolismeEn cas de diabète (Diabetes mellitus), régulation stable du taux de glucose dans le sang sans hypoglycémie ou hyperglycémie ayant des effets sur la conduite.
Pas d’autres maladies du métabolisme ayant des effets importants sur l’aptitude à conduire avec sûreté un ­véhicule automobile.
Maladies des organes respiratoires et abdominauxPas de maladies entraînant une somnolence diurne accrue ni d’autres troubles ou limitations ayant des effets sur l’aptitude à conduire avec sûreté un véhicule automobile.
Maladies de la colonne vertébrale et de l’appareil locomoteurPas de déformations, de maladies, de paralysies, de conséquences de blessures ou d’opérations ayant des effets importants sur l’aptitude à conduire avec sûreté un véhicule automobile et impossibles à corriger suffisamment par des dispositifs spéciaux.
De plus, les diplopies restrictives, une importante réduction de la vision crépusculaire et une sensibilité à l’éblouissement fortement accrue ne doivent pas être présents. Alors que les éventuelles diplopies doivent faire l’objet d’une évaluation ophtalmologique en vue d’établir leur pertinence pour la circulation routière, les deux autres points cités peuvent ne faire l’objet que d’une évaluation purement anamnestique réalisée par le médecin de premier recours.

Abus de substances

Les exigences minimales mentionnent cette fois explicitement que le conducteur ne doit pas être dépendant d’une substance et qu’il ne doit pas avoir d’abus ayant un effet sur la conduite. Un diagnostic de dépendance d’après la CIM-10 exclut une aptitude à la conduite. Si les examens de contrôle fournissent des indications d’une utilisation nocive (attention aux benzodiazépines, hypnotiques Z tels que le zolpidem), il convient d’envisager une recommandation aux autorités pour un examen de médecine du trafic par un médecin de niveau 4.

Psychisme

En ce qui concerne le psychisme, il est en particulier exigé que le conducteur ne souffre pas de symptômes maniaques ou dépressifs prononcés. En cas de survenue d’un épisode maniaque ou d’un épisode dépressif modéré à sévère, l’aptitude à la conduite est déclarée après un intervalle d’au moins 6 mois sans symptômes avec effet sur la conduite.
Pour ce qui est des paragraphes «Troubles des fonctions cérébrales d’origine organique», «Maladies neurologiques» et «Maladies cardiovasculaires», les exigences minimales sont globalement maintenues.
En ce qui concerne la mise en œuvre pratique de l’évaluation des seniors, les points qui suivent peuvent s’avérer utiles.

Troubles cognitifs

Afin de déterminer le niveau de cognition des seniors, le test Mini mental state (MMS), le test de l’horloge ainsi que le Trail making test (TMT) partie A et B ont fait leur preuves. Les deux premiers tests peuvent être considérés comme connus. Le TMT se compose de deux parties: dans la partie A, il faut relier les chiffres de 1 à 25 le plus rapidement possible; dans la partie B, il faut relier de façon alternative chiffres et lettres (de la façon suivante: 1-A-2-B-3-C etc.). Le temps nécessaire pour accomplir ces exercices est mesuré. Les erreurs des sujets doivent être corrigées sur le champ lors de la réalisation du test; le chronomètre n’est pas interrompu.
Les résultats suivants appuient la suspicion de troubles cognitifs pertinents pour la conduite:
– Test MMS <21 points
– Test de l’horloge <6 points
– TMT partie A >80 secondes
– TMT partie B >180 secondes. En cas de besoin supérieur à 300 secondes, l’aptitude à la conduite n’est pour ainsi dire jamais délivrée.
En l’absence d’anomalies lors de l’anamnèse, lors de l’évaluation et au cours des brefs tests neuropsychologiques, on part du principe que la personne est apte à la conduite.
En cas de nettes anomalies à l’anamnèse, lors de l’évaluation et des tests neuropsychologiques, l’aptitude à la conduite doit être refusée.
En présence de résultats indéterminés/limites, il n’est pas possible d’émettre un jugement définitif sur l’aptitude à la conduite. Des examens supplémentaires sont alors indiqués (par ex. investigations dans une clinique de la mémoire, évaluation neuropsychologique, évaluation de médecine du trafic).

Maladies neurologiques

Après un accident vasculaire cérébral, les troubles cognitifs se trouvent au premier plan. Les troubles sensori-moteurs peuvent le cas échéant être compensés par des adaptations techniques du véhicule.
En cas de maladie de Parkinson, les symptômes, troubles cognitifs, troubles psychiques (par ex. hallucinations) et effets indésirables médicamenteux (par ex. crise de sommeil sous pramipexole)parfois fluctuants doivent être pris en compte.
Pour l’évaluation de l’aptitude à la conduite des patients souffrant de crises d’épilepsie, la Ligue Suisse contre l’Epilepsie (www.epi.ch) a émis des recommandations détaillées.

Maladies cardiovasculaires

Les patients souffrant de maladies cardiovasculaires sont aptes à conduire s’ils remplissent les conditions suivantes:
– Résistance quotidienne adéquate à l’effort (pas de limitations selon les classes NYHA III et IV)
– Absence d’angor aigu (pas de degré CCS III et IV)
– Absence de (pré)syncopes, absence de vertiges, ­absence de crises de malaise
– En cas de troubles du rythme cardiaque, pas de ­probabilité accrue de symptômes pertinents (en particulier syncopes)
– Pression artérielle diastolique n’excédant pas 130 mm Hg.

Diabète sucré

En présence d’un diabète sucré, le patient doit présenter une glycémie stable et contrôlée sans hypo- ou hyperglycémies ayant des effets sur la conduite. Pour l’évaluation de l’aptitude à la conduite des patients diabétiques, la Société Suisse d’Endocrinologie et de Diabétologie (www.sgedssed.ch) a émis des recommandations détaillées. Il vaut la peine d’examiner à tête reposée ce document pas toujours facile à comprendre initialement.

Maladies pulmonaires et des organes ­abdominaux

Les maladies avec somnolence diurne (par ex. syndrome d’apnée du sommeil) accrue sont ici particulièrement centrales, de même que la survenue de syncopes de toux. De manière générale, une résistance quotidienne adéquate à l’effort est exigée en cas de ­maladie pulmonaire ou des organes abdominaux. Une cirrhose hépatique et ses stades préliminaires doivent faire penser à un problème d’alcoolisme.

Course de contrôle supervisée par un ­médecin

Si après l’examen médical des doutes persistent quant à l’aptitude à la conduite, une course de contrôle supervisée par un médecin peut être indiquée pour éliminer ces doutes. La course de contrôle supervisée par un médecin est un examen éliminatoire: contrairement à une évaluation de la cognition relevant de la psychologie du trafic, par exemple, celui-ci ne peut être répété.
Une course de contrôle supervisée par un médecin ne peut être recommandée que par un médecin de niveau 4 (art. 5j, al. 2 de l’OAC).
Les «courses de contrôle» avec des moniteurs d’auto-école pour les seniors ne sont pas significatifs dans le cadre de l’évaluation médicale d’aptitude à la conduite. Les moniteurs d’auto-école sont des experts en matière de compétence de conduite (aptitudes et connaissances pour une utilisation sûre du véhicule), pas d’aptitude à la conduite. Indépendamment des déclarations du moniteur d’auto-école, le médecin est, de par l’apposition de sa signature sur le formulaire d’évaluation administratif, le seul responsable de l’évaluation de l’aptitude à la conduite.

Permis de conduire avec restrictions

Les conducteurs qui ne remplissent plus entièrement les exigences médicales minimales peuvent se voir limiter la validité de leur permis de conduire à des zones («rayon»), des horaires ou des types de routes particuliers (art. 34 de l’OAC).
Une limitation à une zone géographique définie est volontiers discutée chez les seniors souffrant de troubles cognitifs, mais doit faire l’objet d’une remise en question critique. Les troubles cognitifs, précisément, ont aussi des implications dans les environnements connus (par ex. réactivité diminuée en cas de situation de survenue soudaine/inattendue).
Une limitation n’est possible que si une participation sûre au trafic est encore garantie. Les limitations du permis de conduire doivent être décidées par un médecin de niveau 4.

Perspective

En décembre 2015/juin 2016, le Conseil national/Conseil des Etats a accueilli favorablement une initiative parlementaire qui exigeait que la limite d’âge pour les examens de seniors passe de 70 à 75 ans. En l’état ­actuel des choses, la mise en application ne devrait pas avoir lieu avant 2018.

L’essentiel pour la pratique

– De nouvelles exigences minimales pour les conducteurs de véhicules sont en vigueur depuis le 1er juillet 2016.
– Les principaux changements pour les médecins de famille concernent les facultés visuelles (acuité visuelle minimale de 0,5/0,2, plus attestation ophtalmologique en cas d’acuité visuelle [corrigée] du meilleur œil comprise entre 0,5 et <0,7, étendue du champ visuel horizontal d’au moins 120°).
– Les médecins désirant réaliser des évaluations d’aptitude à la conduite de seniors doivent suivre un cours ou bien autodéclarer les compétences acquises dans le cadre du programme de formation postgraduée ou d’autres formations continues.
Dr méd. Matthias Pfäffli
Institut für Rechtsmedizin der Universität Bern
Sulgenauweg 40
CH-3007 Bern
matthias.pfaeffli[at]irm.unibe.ch
1 Nouveautés liées à Via sicura. BMS 2015;96(42):1511–4. Les ­directives et textes légaux mentionnés ainsi que l’article issu du Bulletin des Médecins Suisses sont disponibles sur: www.irm.unibe.ch/dienstleistungen/verkehrsmedizin__psychiatrie_und__psychologie