La malnutrition chez les patients hospitalisés
Connaissances actuelles et défis futurs

La malnutrition chez les patients hospitalisés

Lernen
Édition
2017/15
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01552
Prim Hosp Care (fr). 2017;17(15):290-292

Affiliations
Endokrinologie/Diabetes/Klinische Ernährung, Medizinische Universitätsklinik der Universität Basel sowie Kantonsspital Aarau

Publié le 16.08.2017

En cas de malnutrition, une thérapie nutritionnelle peut aider à stabiliser le poids, réduire le risque d’hospitalisation et en raccourcir la durée. C’est pourquoi il convient, en présence d’un risque accru de malnutrition, de déterminer grâce à une collaboration interdisciplinaire s’il existe une indication de thérapie nutritionnelle.

Malnutrition: le quotidien à l’hôpital

La malnutrition chez les patients hospitalisés est une affection fréquente et quelque peu négligée, associée à une mortalité et une morbidité élevées ainsi qu’à des séjours hospitaliers prolongés [1]. Des études actuelles suggèrent qu’environ 30% des patients hospitalisés dans des cliniques de médecine interne présentent un risque de malnutrition ou en souffrent déjà [2].
Qu’il s’agisse de maladies aiguës ou chroniques, les patients ressentent généralement une perte d’appétit, ce qui entraîne rapidement un déficit énergétique avec absorption insuffisante de micro- et macronutriments. Lorsque la maladie est de courte durée et que les individus sont par ailleurs sains, cela n’a peut-être pas grande importance et fait partie du processus pathologique normal. Chez les patients atteints de maladies chroniques, présentant une polymorbidité et un état nutritionnel déjà mauvais au moment de l’admission à l’hôpital, cela peut toutefois avoir des conséquences lourdes. Néanmoins, il n’existe actuellement aucun consensus clair concernant une prise en charge rationnelle visant à éviter la cachexie due à la maladie, c’est-à-dire la perte de masse musculaire avec ou sans perte de tissu adipeux.
La physiopathologie qui se cache derrière ces processus est complexe et n’est jusqu’à présent pas encore entièrement comprise. Des facteurs à la fois hormonaux et liés à l’inflammation jouent certainement un rôle décisif. Il serait intéressant de savoir dans quelle mesure la perte d’appétit souvent observée chez les malades représente une réponse physiologique et ainsi une autoprotection, ou à partir de quand les inconvénients de la perte pondérale (principalement en rapport avec la perte de masse corporelle maigre) prennent le dessus.
Qu’en est-il de la thérapie nutritionnelle chez les patients hospitalisés au service de médecine interne? Une méta-analyse récemment publiée incluant 22 études randomisées a mis en évidence, chez des patients présentant une malnutrition établie et ayant reçu une thérapie nutritionnelle, une stabilisation du poids, une réduction de 30% du risque de ré-hospitalisation ainsi qu’une durée d’hospitalisation inférieure de près de 2 jours [3]. Toutefois, la méta-analyse a également montré qu’un nombre encore insuffisant d’études qualitatives ont été menées dans ce domaine et qu’une grande étude randomisée est nécessaire. Peu après la conclusion de la méta-analyse, l’étude NOURISH, une étude interventionnelle multicentrique et contrôlée contre placebo, a été publiée. Elle a révélé, par rapport au placebo, un effet positif (réduction significative de la mortalité à 90 jours) d’une supplémentation en protéines hautement dosée par bêta-hydroxy-bêta-méthylbutyrate chez les patients âgés souffrant d’affections fréquentes relevant de la médecine interne [4]. En Suisse, une autre grande étude multicentrique est actuellement réalisée: l’étude EFFORT. Elle examine l’effet d’une thérapie nutritionnelle précoce sur l’évolution de la maladie chez des patients en situation de malnutrition.

Prise en charge pertinente de la malnutrition à l’hôpital

Chez les patients hospitalisés, une prise en charge de la malnutrition pertinente sur le plan physiologique est essentielle pour le patient, afin d’éviter autant que possible des conséquences négatives. Lors de l’admission à l’hôpital, il est donc recommandé d’effectuer un dépistage systématique du risque de malnutrition à l’aide du nutritional risk screening (NRS). Le NRS est un score destiné à évaluer le risque de malnutrition et il dépend de l’état nutritionnel, de la sévérité de la maladie ainsi que de l’âge. Si le patient obtient un NRS ≥3 points, un risque accru de malnutrition est présumé et le bénéfice possible d’une intervention nutritionnelle doit être vérifié. Il convient alors de déterminer, en collaboration interdisciplinaire avec le nutritionniste, le personnel de soins et les médecins, s’il existe une indication de thérapie nutritionnelle.
Une première évaluation sert à distinguer si le risque de malnutrition présente une cause remédiable et peut ainsi être traité de manière causale (par ex. sous forme d’un trouble de la déglutition, d’un diabète mal contrôlé ou d’une hyperthyroïdie) ou si le risque dépend d’autres maladies sous-jacentes. Le cas échéant, un traitement causal s’impose naturellement en tout premier lieu.
Si cela n’est toutefois pas le cas, un concept nutritionnel individuel qui prend en compte les préférences et couvre les besoins individuels en énergie, protéines et micronutriments doit être élaboré pour chaque patient (fig. 1). Pour calculer le métabolisme de base et le besoin énergétique quotidien d’un patient, il est possible de multiplier le poids du patient concerné par 30 kcal. Cela permet d’estimer de manière adéquate le besoin énergétique de la plupart des patients. Une autre option est la formule de Harris-Benedict, qui peut également être employée de manière simple et rapide (tab. 1). La calorimétrie indirecte constitue la référence absolue, mais elle est plus complexe pour une utilisation systématique dans le quotidien clinique. La plage cible journalière de l’apport protéique est de 0,8–1,2 g/kg de poids corporel, la quantité étant adaptée individuellement en fonction de la maladie de fond: Ainsi, un patient souffrant d’insuffisance rénale ne nécessitant pas de dialyse reçoit par exemple moins de protéines qu’un patient dont les reins sont sains.
Figure 1: Algorithme possible en cas de risque de malnutrition. Un nouveau niveau d’escalade (II, III) est choisi si le ­patient peut absorber moins de 75% de la quantité cible 
de nourriture après 24–48 heures.
Tableau 1: Formule de Harris-Benedict-Formel destinée 
à calculer le métabolisme de base.
Hommes66,5 + (13,75 × poids en kg) + (5 × taille en cm) 
– (6,75 × âge en années)
Femmes655,1 + (9,56 × poids en kg) + (1,85 × taille en cm) – (4,68 × âge en années)
Pour mettre en pratique la thérapie nutritionnelle, une alimentation la plus physiologique possible est préférable. Dans certains cas, une alimentation buvable peut être proposée entre les collations, afin d’aider le patient à atteindre son besoin énergétique et en particulier son objectif protéique. Pour couvrir le besoin en micronutriments, les patients reçoivent en plus une préparation multivitaminée.
En fonction de la capacité du patient à ingérer suffisamment d’énergie et de protéines, le traitement peut passer d’une alimentation orale à une alimentation entérale (au moyen d’une sonde gastrique) et, si nécessaire, à une alimentation parentérale, ce qui peut dans certains cas être un soulagement pour le patient.
Il convient par ailleurs, lorsqu’une intervention nutritionnelle est initiée, de tenir compte de l’éventualité d’un syndrome de renutrition inappropriée, qui peut survenir chez les patients fortement dénutris en cas d’augmentation soudaine de l’apport énergétique et provoque de sérieux déséquilibres électrolytiques (en particulier magnésium, phosphate et potassium). Dans ce cas, l’apport en énergie et liquides doit être réduit. Il est en outre recommandé de procéder à une mesure régulière et, si besoin, à une substitution des électrolytes.

Perspectives

L’état actuel des études montre clairement que la malnutrition représente un problème croissant auprès de la population de patients âgés et polymorbides. L’évaluation correcte du risque et les interventions nutritionnelles jouent un rôle central chez les patients à risque, afin d’abaisser la mortalité et la morbidité élevées associées à la malnutrition. Il est souhaitable de reconnaître et de traiter de manière adéquate le risque de malnutrition dès la prise en charge de base. A l’heure actuelle, il existe encore trop peu d’études cliniques interventionnelles de bonne qualité indiquant l’alimentation optimale des divers groupes de patients. De même, nous ne comprenons encore que trop peu le rapport entre alimentation et bactéries intestinales («microbiome»). La recherche clinique et l’identification de «biomarqueurs nutritionnels» particuliers ­permettront peut-être à l’avenir d’adapter les régimes alimentaires spéciaux aux besoins spécifiques des patients, par exemple en fonction du dysfonctionnement organique («alimentation personnalisée»). Ainsi, de grandes études (telles que l’étude EFFORT) seront à l’avenir nécessaires non seulement pour examiner l’effet de la thérapie nutritionnelle sur les populations de patients, mais aussi pour contrôler les approches individuelles dans le sens d’une médecine personnalisée.
PS bénéficie d’un soutien du FNS (Fonds national suisse de la recherche scientifique, professeur boursier, PP00P3_150531 / 1), du Conseil de la recherche de l’hôpital cantonal d’Aarau (1410.000.044) ainsi que de Nestlé, Abbott, Biomerieux et Thermofisher.
Prof. Dr. med.
Philipp Schuetz, MPH
Endokrinologie/Diabetes/Klinische Ernährung
Medizinische Universitätsklinik der Universität Basel
Kantonsspital Aarau
Tellstrasse
CH-5001 Aarau
philipp.schuetz[at]unibas.ch
1 Katona P, Katona-Apte J. The interaction between nutrition and infection. Clinical infectious diseases: an official publication of the Infectious Diseases Society of America. 2008;46(10):1582–8.
2 Schutz P, Bally M, Stanga Z, Keller U. Loss of appetite in acutely ill medical inpatients: physiological response or therapeutic target? Swiss Med Wkly. 2014;144:w13957.
3 Bally MR, Blaser Yildirim PZ, Bounoure L, Gloy VL, Mueller B, Briel M, et al. Nutritional Support and Outcomes in Malnourished Medical Inpatients: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Intern Med. 2016;176(1):43–53.
4 Deutz NE, Matheson EM, Matarese LE, Luo M, Baggs GE, Nelson JL, et al. NOURISH Study Group. Readmission and mortality in malnourished, older, hospitalized adults treated with a specialized oral nutritional supplement: A randomized clinical trial. Clin Nutr. 2016;35(1):18–26. doi: 10.1016/j.clnu.2015.12.010.