Le modèle canadien que certains membres du comité sont allés acquérir à Toronto a laissé des traces dans nos esprits et c‘est fort de cette expérience que nous nous sommes jetés dans la bagarre. Le terme n’est pas dénué de réalisme. Il a d’abord fallu convaincre des collègues plutôt fâchés, dans nos rangs, inquiets de perdre pouvoir ou travail, puis les autres professionnels avec lesquels nous souhaitions développer des alliances professionnelles. Si les débuts furent balbutiants, hérissés du courroux de collègues peu familiers avec le concept de soins collaboratifs, le chemin parcouru est sans nul doute considérable! Et, dans l’ombre, nous avons ­toujours pu compter sur la vision intégrative et bienveillante de Catherine Gasser, notre «marraine» pourrait-on dire, qui nous a fait bénéficier sans retenue de son expérience du terrain.

Pour commencer, en 2013, la «Plateforme interprofessionnalité dans les soins primaires» a été un espace d’échange. Au début chacun jetait sur l’autre un regard méfiant qui s’est transformé petit à petit en une amicale collaboration. Un réseau dans lequel nous avons réuni des professionnels des soins et du terrain. A dessein, nous entendions réunir non pas des théoriciens, mais des professionnels qui connaissent le travail auprès du patient. Notre volonté n’a pas été de construire une nouvelle structure politique où s’exerce influence et pouvoir, mais bien d’offrir un regard croisé de ­professionnels, partageant des valeurs identiques sur les soins. Nous avons appris à mieux identifier et connaître les compétences de chacun. Nous avons déconstruit les stéréotypes qui parasitaient les échanges entre différentes professions et créaient des tensions malsaines. C’est un rapport respectueux et un échange d’égal à égal qui s’est installé progressivement entre les membres. Physiothérapeutes, infirmier-ière-s, diététicien-ne-s, médecins, pharmacien-ne-s, représentants des employeurs (Spitex) et assistantes médicales ont finalement collaboré pour élaborer une grille de lecture facilitant l’évaluation de projets dits interprofessionnels. Ce travail de longue haleine réunit l’ensemble des critères fondamentaux, tirés d’une revue systématique de la littérature. Ils définissent le processus d’élaboration d’un projet réellement interprofessionnel et non pas exécuté par diverses professions sous les ordres d’un chef. Créer ensemble, dès le début, est un critère fondamental! Ces paramètres ont été testés sur divers projets dont Prism, un projet genevois de suivi des patients complexes, qui a obtenu l’ensemble des points. Cette grille se veut exhaustive pour prendre en compte les multiples facettes nécessaires à l’interprofessionnalité. Bien qu’elle ait parfois été critiquée pour son côté ambitieux, nous savons aujourd’hui qu’elle est un vrai outil, utile et utilisable. A l’avenir elle pourra également servir de guide lors de l’élaboration de projets interprofessionnels. Notre équipe la met généreusement à disposition sur notre site Internet www.interprofessionnalite.ch.

Fort d’avoir su assainir notre modèle relationnel, après trois ans, il nous est apparu évident que la structure en réseau ne nous laisserait jamais générer des levées de fonds permettant de promouvoir des projets plus ambitieux. Nous avons donc envisagé de créer une association. Ce ne fut pas chose facile! Les démons cachés ont refait surface et l’aventure a duré bien plus de temps que prévu. Pour définir une structure satisfaisante, il a fallu réunir les grands chefs. Ils ont donné naissance à une structure et des statuts acceptés par l’ensemble des associations partenaires. Nous, les anciens de la première heure, redoutions de perdre cet échange authentique entre professionnels du terrain, ce respect mutuel et cette vision sur pied d’égalité. Mais nous avons foi dans l’avenir et nous nous réjouissons de voir ces principes fonctionner dans la nouvelle structure. Les fondatrices de la première heure ont préféré laisser leur place: pour une structure nouvelle nous voulions un sang neuf! Un nouveau chapitre s’ouvrira donc le 22 janvier 2018 avec la création de l’association.

Entre temps, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a entendu notre voix et recherché la collaboration. La nouvelle association a d’ores et déjà des partenaires solides et fiables qui la soutiendront. Par ailleurs, la nouvelle association prévoit déjà d’organiser un congrès avec l’OFSP et l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) cet automne et ainsi renforcer la collaboration pour la promotion de l’interprofessionnalité en Suisse. C’est donc un nouveau pas vers une interprofessionnalité harmonisée et tournée vers l’action!