1er symposium sur la prévention de Baden

Le café: de boisson turque à remède

Fortbildung
Édition
2021/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2021.10318
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2021;21(05):170-172

Affiliations
Departement Innere Medizin, Kantonsspital Baden, Baden, Schweiz

Publié le 04.05.2021

Le café, la plupart d’entre nous en boivent, une ou plusieurs tasses par jour, comme stimulant au petit-déjeuner, en périodes de forte sollicitation ou pour faciliter la ­digestion après un repas riche le soir. Les rumeurs sur les répercussions négatives du café persistent jusqu’à aujourd’hui. Mais quelle est la part de vérité dans ces ­allégations? Le café est-il finalement sain ou non?

De la Turquie vers l’Europe

Avant d’en venir aux risques pour la santé ou aux bienfaits du café, voici une brève introduction à l’histoire du café. D’après la légende sur l’origine du café, un jeune berger yéménite fut intrigué par le comportement excité et «stimulé» de ses chèvres, qui venaient de manger des baies rouges. Le berger ramassa quelques-unes de ces baies et les ramena au monastère voisin, où le prieur décida d’en préparer une décoction, qui lui conféra une vivacité exceptionnelle lors de la prière du soir [1]. C’est ainsi qu’a débuté la consommation de café.
Le caféier est originaire d’Ethiopie, où une bouillie aux effets médicinaux était déjà consommée en tant que boisson il y a bien longtemps. Par la suite, au 14e siècle, l’arbuste fut introduit au Yémen, où apparurent les premières plantations. Le café arriva ensuite à la Mecque avec les pèlerins et mystiques musulmans, qui appréciaient son effet stimulant. De là, il transita par le Caire, le Proche-Orient et Constantinople pour atteindre ­l’Europe au 17e siècle [1]. La diffusion du café est attribuable aux Turcs, raison pour laquelle le breuvage noir est également appelé «boisson turque». Ils conquirent des terres en Syrie, au Yémen et en Egypte. Les zones de culture du café étaient ainsi dans les mains turques. Le premier établissement où l’on servit du café ouvrit en 1554 à Constantinople, mais des cafés publics emplirent aussi bientôt les rues des villes d’Europe du Sud-Est.
Contrairement au chocolat chaud, qui a pendant ­longtemps été considéré comme une boisson élitiste, toutes les couches sociales consommaient du café, qui était moins cher. Au 19e siècle, on le retrouvait déjà dans tous les foyers. La tasse de café du matin a peu à peu remplacé la traditionnelle soupe et est finalement devenue le grand classique populaire [1]. Les Européens sont séduits par cette boisson en raison de son exotisme et de son effet stimulant, et le café représente une alternative bienvenue aux traditionnelles boissons alcoolisées [1].

Plus de 1000 substances bioactives

En 2017, une consommation de café de 6,31 kg/personne a été pronostiquée en Suisse, plaçant ainsi le pays au dixième rang du classement mondial. Les Finlandais, les Néerlandais et les Suédois sont les plus grands consommateurs de café [2]. Le café torréfié est un mélange complexe de plus de 1000 substances bioactives, la caféine étant (seulement!) l’une d’entre elles. Mis à part le café, d’autres produits contiennent également la stimulante caféine, comme par exemple le chocolat, les boissons énergisantes, le Coca-Cola, le thé noir et le cacao [3]. La caféine présente une action multi-cibles dépendante de la concentration. A une faible concentration, la caféine agit en tant qu’antagoniste au niveau du récepteur de l’adénosine; à une concentration élevée, elle agit en tant qu’inhibiteur non spécifique de la phosphodiestérase; à une concentration très élevée, elle entraîne une augmentation de la concentration intracellulaire de calcium [4]. Toutefois, le café est également riche en antioxydants, en particulier en acide chlorogénique; il a même une ­teneur en acide chlorogénique plus élevée que le thé, les fruits et les légumes. Les diterpènes cafestol et kahwéol contenus dans le café induisent des enzymes qui sont impliquées dans la détoxification des carcinogènes et dans la stimulation des défenses antioxydantes intracellulaires.

Indications sur les bénéfices et les dommages du café issues d’une métaanalyse

La consommation de café est-elle alors bonne pour notre santé ou finalement quand même plutôt nocive? Et dans ce dernier cas, combien de tasses de café par jour sont sans danger? Une revue générale («umbrella review») [5], qui a compilé les résultats des revues systématiques et métaanalyses existantes, nous livre des pistes de réponse à ces questions. La particularité de cette revue est qu’elle a évalué l’effet du café, et pas ­uniquement de la caféine, et qu’il a été reconnu que les effets sur la santé du café pourraient reposer sur une quelconque combinaison des constituants chimiques. La recherche de la littérature a identifié 201 métaanalyses observationnelles, qui ont analysé 67 critères d’évaluation différents, et 17 métaanalyses interventionnelles avec 9 critères d’évaluation différents.
La consommation la plus élevée de café (sept tasses par jour) était associée à un risque de mortalité globale plus faible de 10%. Les estimations compilées ont néanmoins montré que la plus grande réduction du risque relatif s’observait pour une consommation de trois tasses par jour, par rapport à l’absence de consommation. S’agissant de la mortalité par maladies cardiovasculaires, la plus grande réduction du risque relatif (–19%) a également été constatée pour une consommation de trois tasses par jour. Par rapport aux personnes qui ne buvaient pas de café («non drinkers»), la mortalité liée aux cardiopathies coronariennes était réduite de 16% et la mortalité liée aux accidents vasculaires ­cérébraux était réduite de 30%. Il convient d’ajouter qu’une augmentation de la consommation de café à plus de trois tasses par jour n’était pas néfaste mais était associée à un effet positif moins prononcé, avec des estimations n’ayant pas atteint la significativité statistique pour la consommation la plus élevée de café.
A la fois une consommation élevée et une consommation faible de café étaient associées à un plus faible risque de cancer de la prostate, de cancer de l’endomètre, de mélanome, de cancer du plancher buccal, de leucémie et de cancer du foie. Les études ont montré de façon consistante des associations néfastes entre la consommation de café et le cancer du poumon (OR 1,56; IC à 95% 1,12–2,17), mais cet effet était atténué dans les études ayant appliqué une correction pour le facteur «tabagisme» et l’association n’a pas été constatée chez les non-fumeurs. Une seule métaanalyse a trouvé un lien entre la consommation de café et un risque ­accru de cancer de l’appareil urinaire (OR 1,18; IC à 95% 1,01–1,38) [5].
Tableau 1: Associations néfastes et bénéfiques de la consommation de café par rapport à l’absence de consommation de café. (adapté d’après [5]).
RépercussionsEvaluation du risqueIntervalle de confiance
Les dix les plus néfastes:  
Leucémie aiguë durant l’enfance1,441,07 – 1,92
Lymphome1,290,92 – 1,80
Cancer du poumon1,281,12 – 1,47
Cancer de l’appareil urinaire1,181,01 – 1,38
Endométriose1,130,46 – 2,76
Hypertension artérielle1,030,98 – 1,08
Cancer de l’estomac1,020,79 – 1,31
Cancer du rectum0,980,85 – 1,13
Cancer du sein0,950,90 – 1,01
Thromboembolies veineuses0,940,82 – 1,07
Les dix les plus bénéfiques:  
Cancer de l’intestin0,830,73 – 0,95
Incontinence urinaire0,750,54 – 1,04
Maladie d’Alzheimer0,730,54 – 0,99
Fibrose hépatique0,730,56 – 0,94
Maladie rénale chronique0,710,47 – 1,08
Stéatose hépatique non alcoolique0,710,60 – 0,85
Cancer du foie0,660,55 – 0,78
Maladie de Parkinson0,640,53 – 0,77
Maladie hépatique chronique0,620,47 – 0,82
Cirrhose hépatique0,610,45 – 0,84
Pour les maladies hépatiques et gastro-intestinales, des associations bénéfiques ont été observées dans toutes les catégories de consommation de café. Par rapport aux personnes ne buvant pas de café, les buveurs de café présentaient un risque de stéatose hépatique non alcoolique plus faible de 29%, un risque de fibrose hépatique plus faible de 27% et un risque de cirrhose hépatique plus faible de 39% [5]. La consommation de café était aussi systématiquement associée à un risque significativement plus faible de calculs biliaires.
Un effet bénéfique global du café a également été constaté pour les maladies métaboliques. En cas de consommation élevée versus faible de café, le risque relatif de développer un diabète de type 2 s’élevait à 0,70 (IC à 95% 0,65–0,75). Le risque de développer un syndrome métabolique était plus faible de 9% en cas de consommation élevée versus faible de café (OR 0,91; IC à 95% 0,86–0,95) [5].
S’agissant des maladies neurologiques, des corrélations positives ont également été identifiées. Ainsi, la consommation de café était systématiquement associée à un plus faible risque de maladie de Parkinson, de dépression et de troubles cognitifs, en particulier de maladie d’Alzheimer [5].

Prudence durant la grossesse

Après correction pour le facteur «tabagisme», les associations néfastes ont été largement éliminées. La prudence est uniquement de mise durant la grossesse. Par rapport à une faible consommation de café, une consommation élevée était associée à un risque accru de plus faible poids de naissance (OR 1,31; IC à 95% 1,03–1,67), d’accouchement prématuré au cours du 1er trimestre (OR 1,22; IC à 95% 1,00–1,49) et du 2e trimestre (OR 1,12; IC à 95% 1,02–1,22), et d’avortement spontané (OR 1,46; IC à 95% 1,06–1,99) [5]. Par ailleurs, des indices suggèrent que la consommation de café durant la grossesse pourrait être responsable d’un risque accru de leucémie durant l’enfance (OR 1,57; IC à 95% 1,16–2,11).
Chez les femmes, la consommation élevée de café par rapport à la consommation faible de café était en outre associée à une augmentation de 14% du risque de fractures, tandis qu’une telle association n’a pas été constatée chez les hommes, chez lesquels un risque ­réduit de fractures a même été observé en cas de consommation de café [5].

Résumé

En conclusion, il apparaît que la consommation de café est très courante à travers le monde et que dans des quantités usuelles (quantité optimale de trois à quatre tasses par jour), elle semble être sûre. La consommation de café pourrait avoir des répercussions positives sur le développement de maladies hépatiques chroniques. Une consommation élevée de café est déconseillée durant la grossesse et chez les femmes ayant un risque accru de fractures.
Toutefois, dans la mesure où certaines données sont ­issues d’études observationnelles et/ou de faible qualité, des études randomisées et contrôlées sont impérativement nécessaires. D’ici à ce que d’autres résultats soient disponibles, il n’y a certainement rien à objecter à la consommation d’une ou plusieurs tasses de café par jour.
Prof. Dr. med. Jürg H. Beer
Chefarzt Departement Innere Medizin ­Kantonsspi­tal Baden
Im Ergel 1
CH-5404 Baden
hansjuerg.beer[at]ksb.ch