Implémentation d’une intervention de Case Management dans les services d’urgence

Forschung
Édition
2022/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2022.10561
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2022;22(05):145-146

Publié le 11.05.2022

La surcharge des services d’urgences est un problème rencontré par les systèmes de santé à l’échelle mondiale . En Suisse, plus de 80% des services d’urgences sont concernés par cette problématique. Les grands consommateurs des services d’urgences (GCSU) contribuent à cette surcharge [2]. Le recours fréquent aux urgences est souvent lié au cumul de difficultés somatiques, psychologiques et sociales, fréquentes chez les GCSU.

Projet 5 du Programme national de recherche 74 «Système de santé»: intérêt et attentes des soignants en Suisse

Introduction

La surcharge des services d’urgences est un problème rencontré par les systèmes de santé à l’échelle mondiale. En Suisse, plus de 80% des services d’urgences sont concernés par cette problématique. Les grands consommateurs des services d’urgences (GCSU) contribuent à cette surcharge [2]. Le recours fréquent aux urgences est souvent lié au cumul de difficultés somatiques, psychologiques et sociales, fréquentes chez les GCSU [4–9]. Au cours des dernières années, de nombreux travaux ont permis de développer des interventions dans le but de mieux répondre à leurs besoins, dont le case-management (CM) [6, 7, 10]. Le CM vise à mieux intégrer les GCSU dans le réseau social et sanitaire sur la base d’une évaluation socio-médicale et infirmière de la personne, ainsi qu’à coordonner leurs soins. En plus de diminuer le nombre de visites aux urgences et les coûts associés, cette approche permet d’améliorer leur qualité de vie [6, 7, 11].
Toutefois, la dissémination du CM dans les services d’urgences reste rare [12], illustrant l’écart entre la recherche et l’implémentation des «bonnes pratiques». En ­réponse, un projet de recherche a été financé par le Fond National Suisse (PNR-74; 407440_167341) pour implémenter le CM (I-CaM) au sein des services d’urgences de Suisse romande. La première étape du projet a exploré les perceptions, besoins et attentes des soignant.e.s en lien avec les GCSU ainsi que leurs intérêts à implémenter le CM. Cet article vise à présenter un résumé des résultats préliminaires de cette enquête et de l’illustrer au travers d’une interview menée avec un professionnel impliqué dans l’implémentation du CM [13, 14].

Méthode

Initialement, l’enquête était adressée à tous les sites éligibles dans l’étude parente, (services d’urgences d’hôpitaux publiques suisses, ouverts 24h sur 24h et prenant soin de patient.e.s adultes en Suisse Romande). Dans un second temps, elle a été élargie à l’échelle nationale. Cette enquête en ligne incluait 19 questions sur la perception des GCSU et du CM par les équipes soignantes  [14].

Résultats

Le taux de réponse des hôpitaux était de 71% (75/106 hôpitaux) et 208 professionnels de la santé ont répondu à l’enquête (113 médecins, 95 infirmier.ère.s).
Les défis liés aux GCSU étaient les suivants, par ordre d’importance:
  • conséquences négatives (encombrement des services d’urgences, surcharge de travail, impuissance du personnel, etc.);
  • complexité des soins de santé (problèmes psychiatriques et/ou social);
  • inadéquation et inadaptation des services d’urgence pour répondre aux besoins des GCSU;
  • et enfin les défis liés à l’absence de réseau de soins [15]. 
Selon 64% des professionnels questionnés, ces difficultés étaient importantes. Pourtant, la majorité des professionnels se sentaient mal informés au sujet des GCSU et 81% d’entre eux n’avaient pas connaissance d’interventions spécifiques destinées aux GCSU. L’utilité perçue du CM, après explications de ses spécificités, était élevée (92%). Cependant, l’intérêt pour la mise en œuvre du CM ne s’élevait qu’à 59%.

Conclusion

Les résultats à l’enquête nationale, illustrés par les propos de Dr. Golay, illustrent la problématique existante des GCSU en Suisse. Les résultats soulignent un besoin formel d’intervention ciblée pour diminuer les difficultés rencontrées avec la population des GCSU. En effet, la plupart des répondants de l’étude rapportent faire face à une grande variété de défis dans la prise en charge de cette patientèle. De plus, les professionnels portent un intérêt certain pour les interventions de CM, plus de 90% étant convaincus de leur utilité. D’ailleurs, le Dr. Golay soulève un certain nombre d’avantages à la mise en place d’intervention de CM pour les GCSU, ceci malgré les barrières existantes. Plusieurs autres établissements de Suisse romande ont adopté le CM dans le cadre du projet en cours, et les données préliminaires indiquent que le reste de la Suisse au-delà de la Romandie pourrait également profiter de l’implémentation d’une telle intervention.

Série: projets du Programme national de recherche (PNR) 74 «Smarter Health Care»

Cet article résume les principaux résultats du projet 5 «Recours à la gestion de cas pour décharger les urgences» du Prof. Patrick Bodenmann, Titulaire de la Chaire de médecine des populations vulnérables de l’Université de Lausanne, Médecin adjoint, responsable du Centre des populations vulnérables.
Ce projet fait partie des 34 projets soutenus dans le cadre du PNR 74 du Fonds national suisse. L’objectif du PNR 74 est de poser les bases scientifiques pour des soins de santé de qualité, durables et «intelligents» en Suisse.
Informations: pnr74.ch

Interview du Docteur Michel Golay*

Quels éléments ont contribué à votre motivation pour participer au projet recherche I-CaM?
Avant tout, je crois que c’est le fait qu’il y ait un problème existant et reconnu par le service d’urgence, l’hôpital et le réseau de soins. Nous avions besoin d’une solution pour diminuer les conséquences liées aux GCSU qui se situent sur deux axes. D’une part, les GCSU sont en souffrance. Ils repartent du service d’urgences sans modifications majeures de leur situation. D’autre part, les professionnel-le-s de santé se sentent déstabilisé-e-s, désarmé-e-s et impuissant-e-s en se demandant: «Comment mieux les aider afin d'éviter des consultations itératives aux urgences».
Comment le projet I-CaM vous a-t-il aidé?
En permettant la mise en place d’un système qui complète le fonctionnement standard des urgences. Le service d’urgence réalise des consultations de premières lignes, centrées sur la plainte de la personne. Il est alors difficile d’avoir assez de recul pour prendre en compte la situation de la personne dans sa globalité. Pourtant, il est nécessaire de s’interroger sur les raisons qui expliquent les consultations fréquentes d’un patient. Pour le savoir, il faut du temps pour évaluer la situation en dehors du service d’urgence, par exemple en consultation ambulatoire. C’est sur ce point que le CM se concentre.
Dans l’équipe, nous avions déjà entendu parler du CM depuis des années mais sans avoir eu les ressources nécessaires pour sa mise en place. Nous avons donc été motivés par la possibilité d’implémenter le CM avec le soutien d’une équipe externe. Ce projet nous donnait aussi la possibilité d’optimiser la collaboration avec le réseau de soins, élément important pour nous.
Quels facteurs ont contribué à l’adoption du projet I-CaM au sein de l’Hôpital Intercantonal de la Broye?
Je pense que la motivation importante que nous avions pour ce projet est l’un des éléments principaux nous ayant permis de le mettre en place. L’identification d’une équipe interdisciplinaire impliquée dans le projet et l’obtention d’un financement du Réseau Nord Vaudois pour un poste de Case Manager à 20% sont d’autres facteurs clé ayant aidé à la mise en place du projet.
Ensuite, je dirais que la bonne compréhension du projet par tous les membres de l’équipe est un élément essentiel. De plus, le fait que nous ayons fixé des objectifs raisonnables et adaptés à notre institution a été une de nos forces.
Enfin, les ressources et l’accompagnement proposés par Unisanté, par exemple les documents pratiques et informatifs, les workshops et les coachings, ont aussi beaucoup aidé. De plus, il s’agissait d’un projet conduit par un professeur expert dans le domaine, ce qui nous a donné l’impulsion nécessaire pour mettre en place une intervention dont nous discutions déjà depuis plusieurs années.
Au contraire, quelles ont été les barrières à la mise en place du projet?
Le frein principal était le manque de temps! Nous avons des journées très remplies et il n’est pas simple de dégager des heures pour un nouveau projet. Au départ, il a également été difficile d’obtenir le financement d’un poste de Case Manager. Une autre difficulté concernait la mise en place d’un système informatique permettant de détecter les patients pouvant être inclus dans le projet. Pour terminer, les difficultés organisationnelles dues au fait que nous travaillons pour un hôpital intercantonal (Vaud-Fribourg) ont également été des barrières que nous avons rencontrées.
En quoi votre participation au projet a été satisfaisante pour vous?
Nous avons remarqué que la fréquence des passages aux urgences avait diminué, notamment grâce à la mise en place d’un réseau de soins adapté. Je suis satisfait du travail que nous avons fait car je pense que plusieurs patients ont retiré des bénéfices du CM. Actuellement, nous essayons d’optimiser notre efficacité afin de pérenniser cette intervention au-delà de la fin du projet I-CaM.
Pour le projet:
Prof. Patrick Bodenmann
Université de Lausanne
Policlinique médicale universitaire
Rue du Bugnon 44
Bureau BU44/06/2202
CH-1011 Lausanne
Patrick.Bodenmann[at]unisante.ch
Pour le programme:
Heini Lüthy
Responsable médias du PNR 74 www.pnr74.ch
Tössfeldstrasse 23
CH-8400 Winterthour
hl[at]hluethy.ch
1. . Systematic review of emergency department crowding: causes, effects, and solutions. Ann Emerg Med. 2008 Aug;52(2):126–36. http://dx.doi.org/10.1016/j.annemergmed.2008.03.014184339331097-6760   http://dx.doi.org/10.1016/j.annemergmed.2008.03.014 PubMed
3. . Le recours aux services d’urgence en Suisse. Description des différences cantonales. In: Obsan Dossier. Neuchâtel: Observatoire Suisse de la Santé; 2018. p. 64.
4.  Social and medical vulnerability factors of emergency department frequent users in a universal health insurance system. Acad Emerg Med. 2012 Jan;19(1):63–8. http://dx.doi.org/10.1111/j.1553-2712.2011.01246.x222212921553-2712   http://dx.doi.org/10.1111/j.1553-2712.2011.01246.x PubMed
6.  Effectiveness of interventions targeting frequent users of emergency departments: a systematic review. Ann Emerg Med. 2011 Jul;58(1):41–52.e42. http://dx.doi.org/10.1016/j.annemergmed.2011.03.007216895651097-6760   http://dx.doi.org/10.1016/j.annemergmed.2011.03.007 PubMed
8. . The effectiveness of emergency department visit reduction programs: a systematic review. Ann Emerg Med. 2016 Oct;68(4):467–483.e15. http://dx.doi.org/10.1016/j.annemergmed.2016.04.015272875491097-6760   http://dx.doi.org/10.1016/j.annemergmed.2016.04.015 PubMed
9. . Cost-effectiveness of clinical case management for ED frequent users: results of a randomized trial. Am J Emerg Med. 2008;26(2):155–64. 16.
11.  Case management may reduce emergency department frequent use in a universal health coverage system: a randomized controlled trial. J Gen Intern Med. 2017 May;32(5):508–15. http://dx.doi.org/10.1007/s11606-016-3789-9274009221525-1497   http://dx.doi.org/10.1007/s11606-016-3789-9 PubMed
13.  Implementing a case management intervention for frequent users of the emergency department (I-CaM): an effectiveness-implementation hybrid trial study protocol. BMC Health Serv Res. 2019 Jan;19(1):28. http://dx.doi.org/10.1186/s12913-018-3852-9306349551472-6963   http://dx.doi.org/10.1186/s12913-018-3852-9 PubMed
14.  Health care providers’ perception of the frequent emergency department user issue and of targeted case management interventions: a cross-sectional national survey in Switzerland. BMC Emerg Med. 2021 Jan;21(1):4. http://dx.doi.org/10.1186/s12873-020-00397-w334131631471-227X   http://dx.doi.org/10.1186/s12873-020-00397-w PubMed
15. . (Accepted). Heathcare providers’ perceptions of challenges with frequent users of emergency department care in Switzerland: A qualitative study. Inquiry: the Journal of Health Care Organization Provision and Financing